mercredi, novembre 30, 2005

Au revoir Jean-Pierre

Cher(e)s ami(e)s
Ce message pour vous faire part du décès ce jour à midi de Jean Pierre , dont une bonne part d'entre vous n'oublieront pas de sitôt le sourire et le message d'envoi clôturant le superbe film réalisé lors de son entrevue récente avec une équipe du cours. Je l'ai revu une dernière fois dimanche. Suite à la paralysie des muscles de la déglutition , les fausses déglutitions se succédiaent, et il ne parvenait plus à cracher, étouffaznt sans cesse dans ses expectorations. Il a été trachéotomisé vendredi, ce qui lui a ôté la faculté de communiquer oralement, et une sonde de gastrostomie était prévue... Les cinq minutes passées à son chevet , sans pouvoir parler , m'ont paru durer un siècle . Il s'est éteint paisiblement ce midi, après nous avoir transmis sa dernière leçon d'enseignant via sa rencontre filmée.
Bien amicalement
CV et DP.

Bonjour,
Comment ne pas réagir à cette nouvelle...J'écris au nom de toute l'équipe pour vous dire à quel point nous sommes tristes du décès de notre patient.Il y avait des larmes dans les yeux de la personne qui me l'a annoncé ce matin, c'est d'ailleurs la première chose qu'on m'a dite lorsque je suis arrivée et ce n'est pas sans une certaine émotion que j'écris ces quelques mots.Ce n'est toujours qu'après-coup que l'on réalise ce que l'on a perdu... Nous avons eu une chance immense de pouvoir rencontrer Mr Xxxxxxx et nous ne sommes pas prêts d'oublier tout ce qu'il a pû nous apprendre sur le plan humain.C'était un homme extraordinaire à plus d'un titre...Notre rencontre avec lui nous a encore fait toucher du doigt l'incroyable paradoxe qu'est la vie: à la fois si belle et si cruelle parfois. J'avoue d'ailleurs ne pas pouvoir m'empêcher de ressentir une certaine colère due à l'injustice de cette mort et à l' impuissance de la médecine. On se dit toujours:"Pourquoi lui?" Mais je sais bien que ce sont justement les aléas de la vie, que personne n'y peut rien et que tout le monde peut un jour être une victime.N'empêche : pourquoi lui?...Cela me pousse à réfléchir sur le sens qu'ont nos actes et leur coté parfois vain et superficiel.Et en écrivant ces quelques lignes derrière mon ordinateur, je me souviens subitement de la raison pour laquelle j'ai décidé de devenir médecin il y a bien longtemps déjà : pour ne pas faire quelque chose de vain.
Merci de faire exister ce cours,
Audrey Lestrade et toute l'équipe 12
Chère Audrey
Merci pour votre témoignage émouvant.
Rentrant de ma tournée des hôpitaux traditionnelle ce dimanche matin, moment mis traditionnellement à profit pour aller saluer mes patients hospitalisés, je partageais à ma famille mon double sentiment de lassitude devant cette activité "gratuite" entre toutes (le contraire de "gratifiante"), la plupart des patients visités n'ayant qu'une espérance de survie extrêmement courte, parlant à peine (comme Jean Pierre ce dimanche), ne me reconnaissant parfois pas dans leur confusion. Les familes souvent ignorent que je suis passé parce que le patient l'a oublié. Et en même temps d'exercer à ce moment précis l'activité humaine la plus chargée de sens qui soit: accorder une importance essentielle, comme si c'était la chose la plus importante au monde, à ces patients au bout de tout, abandonnés de tous, parce que ce sont des femmes et des hommes humains, c'est-à-dire essentiels. Peu importe où ils s'en trouvent dans leur parcours sur terre, leur déchéance physique et intellectuelle, ils sont à notre image , et chacun est unique.
Bien amicalement
CV

mardi, novembre 15, 2005

Courte réflexion sur le bonheur.


"Le plus court chemin de soi à soi, c'est l'autre."
Paul Ricoeur

















En exergue du dernier Prix Medicis de l'Essai, dont j'extrais ces belles lignes sur le bonheur. petit cadeau anodin mais précieux pour commencer sa semaine.

"Je me suis laissé porter par la vague, je me suis allongée et le malaise est passé. Maintenant, je me repose dans un fauteuil en osier. Le monde s'engouffre par les portes de mes yeux, je le laisse entrer et il m'emplit d'une matière aérienne, élastique et douce. Je suppose que c'est le bonheur, cette alliance de la lumière, du son et de la douceur de l'air. Le bonheur dure peu de temps, mais, si on lui en laisse la place, il peut occuper un très grand espace.

Le malheur n"est pas le contraire du bonheur. Il n'en est pas le revers, pas plus que la vie n'est une médaille qui présenterait alternativement sa face claire et sa face d'ombre. Le malheur ne s'use pas. Le malheur peut durer longtemps. Mais, si on lui interdit de s'étendre, on arrive à restreindre considérablement la place qu'il occupe. Il faut s'y employer bien sûr un peu sérieusement.Le malheur et le bonheur peuvent cohabiter. Il n'est pas donné à tout le monde de le savoir. Il n'est pas donné à tout le monde de forcer les portes de l'expérience. "

in La Vie sauve. L. Violet et M. Desplechin

lundi, novembre 14, 2005

Salle d'attente, joli mot, jolis maux












salle des pas perdus?
palais des glaces?
murs des lamentations?
consigne sociale?

cet espace que nous traversons des dizaines de fois par jour
nous ne la voyons pas beaucoup
nous la devinons plus
car nous connaissons très bien chacunes des personnes
qui s'y perd en impatience
multipliée par le nombre de chaises
et le regard des autres collaborateurs, restés dans les coulisses
de nos rencontres singulières que l'on égrène à longueurs d'heures
autant de prières silencieuses qui nous abassourdissent les tympans
et surchargent nos bras restés ballants

notre salle d'attente , nos collaborateurs présents et à venir
nous sommes le liant entre Hugo et ses pairs, perdus de vue

Dr Bouali Naima
ex-chirurgienne pédiatrique
reconvertie à la médecine générale
Maison médicale Norman bethune
Molenbeek

dimanche, novembre 13, 2005

Quelqu'un










Elle prend la tumeur comme elle a pris le divorce: comme des événements. Et ce ne sont pas des événements qu'elle suit, c'est moi. Cette femme me rappelle, semaine après semaine, que je ne me réduis pas à une maladie, ni à des symptômes. Elle me rappelle, en somme, que j'existe et que je suis irréductible.

Je l'attends chaque semaine, elle vient chez moi. Elle soigne avec des mots. Elle est pourtant toujours à distance, ni amie ni familière. Je lui raconte mes aventures. J'en ai des légions. Parfois même, j'arrive à lâcher les amarres. Jamais très longtemps. Je m'enferme, je tiens bon. Ce serait bon, certainement, de pouvoir pleurer. Mais il existe des souffrances trop profondes pour que les pleurs puissent les emporter. Des souffrances qui ne se partagent pas, ni ne se déracinent.

La Vie sauve (Prix Médicis de l'essai 2005)
L. Violet et M. Desplechin.

Le visage









Si la médecine avait un visage, ce serait le sien. Un brun à boucles, un beau regard, un charmeur. Lors de mon atterrissage à Bellan, il m'a réceptionnée. Il n'a pas eu la tâche la plus facile. À cette petite bonne femme lestée de deux gosses, il a annoncé qu'elle était mal partie. Pour elle, il a eu les mots qu'il fallait. Il s'y connaît en mots. Il n'a pas peur de ceux qui informent. Il sait que c'est le réel qui flingue, pas les mots pour le dire. Il ne se protège pas derrière le lexique. Je comprends tout ce qu'il dit. Il dit: Je serai toujours là pour vous.
Il dit Je serai toujours là pour vous, et j'ai moins peur.
Il me tient chaud. À lui, je confierai tout. Cette chimio que je refuse, ces questions qui me réveillent, ces combats indispensables et minuscules que j'engage tous les jours. Il écoute. Il ne se sent pas tenu de me répondre. Il est d'accord pour partager les doutes. D'accord pour préférer la vie maintenant. D'accord pour ne pas savoir. Il est humain et il est là

Il n'a pas qu'une patiente dans la vie (j'aimerais bien, mais non). Mais, quand il y a le feu, il me trouve toujours une place. Ce sera le dernier rendez-vous de la matinée. Alors je prépare toutes mes questions à l'avance. Je les note dans mon petit carnet. Je ne veux pas lui faire perdre trop de temps. C'est lui qui déborde. Lui qui pose des questions. Je lui parle du métier que j'exerçais. Il me parle d'un ami écrivain. Nous prévoyons des rencontres. Nous faisons des projets. Dans son petit bureau feutré, il fait entrer un peu de sa vie. Et beaucoup de la mienne.

Lydie Violet . Marie Desplechin.
La Vie sauve. (Prix Medicis de l’essai 2005).

mardi, novembre 01, 2005

Homélie
















" à ces hommes et femmes...
celui qui m'a opérée et qui passait le soir pour me redonner du courage...
celui qui a décidé que je ne reprendrais plus mon travail: savait-il ce qu'il m'enlevait?...
celui qui n'a plus répondu à mes courriers parce qu'il ne savait plus quoi proposer pour me soulager...
celui qui m'a promis de me soulager, de tout essayer et que je n'ai jamais revu...
celui qui m'a fait une perfusion de placebo pour voir si j'avais vraiment mal...
celui qui l'a engueulé, mais que cela arrangeait bien que quelqu'un ait eu l'audace d'essayer...
celui qui m'a donné un rendez-vous urgent pour dans quatre mois...
celui qui m'aide, par l'écoute, à trouver la vie, ma vie...
celui qui m'a dit ses craintes, les mêmes que les miennes, tout en m'affirmant "je ne suis pas là pour te rassurer mais pour être avec toi si ça se complique" ça c'est bon...
celui qui a pu me dire "je ne sais pas"...
celui qui m'a dit que j'allais mourir bientôt; il ne s'en souvient pas...
ceux qui ont cru que l'ont pouvait tout me dire parce que j'étais médecin...
celui qui venait me confier dans la prière son intervention du lendemain..."