vendredi, décembre 30, 2005

Professions de foi - Régine Vandamme

Comme une conclusion au cours Visages de patients, version 2006 ? Le hasard de mes lectures me fait découvrir le superbe livre Professions de foi de Régine Vandamme ( Escales du Nord, 2005) et le témoignage littéraire du médecin de famille qui accompagne l'héroïne durant sa maladie. Je vous en ai recopié les lignes in extenso, tant elles me paraissent en harmonie avec ce que nous avons découvert tout au long de cette riche expérience. Je vous souhaite une bonne fin d'année 2005. CV

Madame R. et moi, c'est une longue histoire. Longue et imprévisible. Jamais je n'aurais cru en déctochant mon téléphone portable, il y a quatre ans, un matin, qu'il serait si droit le chemin que nous emprunterions, elle et moi. Elle, moi et ses filles, pour être plus exacte. Un chemin sans retour en arrière, sans itinéraire, et au début, sans destination précise. Pourtant, j'y ai mis le pied tout de suite. Le chemin commençait là. Très exactement dans l'entrée étroite et sombre d'un appt 1ch, sdb, cuis, salon/sàm, 13' ét. ascen., à trente mètres du plancher des vaches, emplafonné dans des nuages qu'on aurait dit taillés dans la pierre bleue du pays, face à un parc peuplé d'arbres et d'exhibitionnistes, raides et vieillissants.

Oui, le point de départ de cette histoire, ça a bien été cette toute première visite à Madame R. Plus rien n'a été pareil après. Ni dans sa vie ni dans la mienne. Ni dans la vie rêvée ni dans la vie réelle. y serais-je allée en connaissance de cause? Pas sûr.

Est-ce que je le regrette? Pas sûr. Le sacrifice est à la mesure du bagage trouvé.
Sur le coup, je me rappelle m'être dit: ça passe ou ça casse. Elle vivait dans un écrin cendré où les flocons de poussière tenaient lieu d'animaux de compagnie pas chers à nourrir. Sa vie se déroulait là, la coupant du monde et d'elle-même. À la voir évoluer dans cet espace coincé entre deux étages, serré entre deux appartements, zone grise de stationnement payant à un multipropriétaire plus près de ses sous que de ses locataires, on était en droit de se demander si elle avait jamais fait partie du cosmos et si cette fraction de mètres carrés en cube, qui avait dû être renseignée un jour sur un plan d'architecte, avait la moindre chance de figurer à l'état de point, même microscopique, sur un relevé cadastral.

Ses filles m'avaient instamment priée de la voir, davantage pour avoir un avis médical que dans l'espoir que je puisse agir sur sa réclusion dans l'alcool. Elles avaient raison d'être inquiètes. Raison de croire qu'elles ne pouvaient rien pour elle. Raison de l'aimer malgré tout. Forte de ces raisons-là, j'ai posé ma trousse sur la table ronde couverte d'une nappe que des escarbilles de cigarettes avaient dentelée. J'ai ouvert la baie vitrée pour faire entrer quelque chose de frais dans cet intérieur saturé de fumées de tabac et de cuisson. Et je lui ai souri parce qu'il n'y avait rien à dire. Elle se tenait debout agrippée à une chaise. Les jointures de ses mains, qu'elle avait fines et brunies par un lointain soleil, blanchissaient sous l'effort à faire cesser leur tremblement. Dans ses yeux, l'horizon de la honte dessina des ciels rougeoyants. J'ai proposé de la faire admettre à l'hôpital. Elle a opiné. À peine un hochement de tête. Elle venait de me rejoindre sur le chemin où je me trouvais déjà sans le savoir. Un chemin, au cœur d'une ville moyenne qui n'était pas la mienne, dans un petit pays loin du mien où l'on parlait une langue qui n'était pas ma langue maternelle, ni d'ailleurs la sienne. Un chemin où il y aurait beaucoup à progresser et encore plus à apprendre.
En quelques mois, Madame R. m'a précipitée dans le gouffre très opaque de la dépression; entraînée dans les vertiges peu ordinaires du retour à la vie; emmenée aux confins sauvages des maladies incurables; fait escalader les sommets toujours décevants de la rémission; laissé entrevoir les territoires mal circonscrits du coma; guidée sur les pentes mal assurées d'une agonie interminable, m'offrant, pas à pas, de réviser, en mode accéléré, mes cours de médecine, dont l'humain et la mort avaient été les grands absents. Elle a fait de moi le médecin que je suis, mieux que les sept années d'études et de stages de mon doctorat. Ce ne fut pas de tout repos. Et si j'ai beaucoup gagné, j'ai aussi perdu.

Au moment de rencontrer Madame R., j'étais mariée. Au moment de la porter en terre, je ne l'étais plus. Le ratage était en marche. C'était sans espoir de rabibochage. Il n'y a pas de traitement pour les maladies d'amour. La mienne était une pierre sur le chemin que j'avais choisi d'entamer à sa suite. Une pierre un peu plus grosse que d'autres, un peu moins lisse, un peu plus blessante.

Régine Vandamme . Professions de foi. Escales du Nord. Le Castor Astral. 2005.162p.

lundi, décembre 26, 2005

le rire comme ultime thérapie

Un vieux monsieur, atteint d'un cancer et collectionnant toutes les complications possibles de son traitement, se trouve hospitalisé depuis plus de trois semaines, sans pourtant voir vraiment le bout du tunnel.Je lui téléphone hier matin à la clinique pour prendre de ses nouvelles, et j'entends à ma grande surprise ce que je pense être un répondeur, qui me répond très lentement et à deux reprises : "Les bureaux sont fermés jusqu'à onze heures... Les bureaux sont fermés jusqu'à onze heures.
"Interloqué, j'essaie de comprendre ce qui se passe lorsque j'entends un grand éclat de rire de l'autre côté du téléphone, suivi d'un moment d'hésitation, lorsque le patient se rend compte tout d'un coup que son interlocuteur n'est pas son épouse, comme il le pensait bien évidemment, mais bien son docteur qui tombait par hasard dans cet émouvant moment de complicité conjugale.

Quel bonheur d'entendre cette personne de plus de quatre-vingt ans, en pleine lutte pour sa survie, prendre encore le temps d'échafauder une plaisanterie téléphonique pour rappeler à sa femme ce qu'il était et veut sans doute rester jusqu'à son dernier souffle : un être vivant, prêt à s'amuser de tout, fût-ce dans cette situation désespérée, parce qu'une journée sans rire est une journée perdue...Quelle leçon extraordinaire, et quel moment d'intense émotion.Merci, tout simplement, cher patient anonyme et merveilleux.


Joyeux Noël à tous.

Luc Vanwelde

samedi, décembre 24, 2005

Ces visages.



Ces visages de médecins, ces visages de patients
Dans l’ombre, ils étaient pour nous
Ils dormaient, ils dormaient tous.

Soudain, une porte s’ouvre
La façade de cette maison
S’illumine tout à coup d’un visage
Beau comme un fils qui lui sourit
Leurs yeux se parlent
Leurs mains se lèvent
Rencontres fugitives, immenses, joyeuses….

Nous sommes devenus riches,
Riches de savoir, de savoir faire, de savoir être

Ces visages si différents, si beaux, si tendres.
Ces visages, brusquement surgis, absorbent à eux seuls
La clarté ténue qui flottait jusque là
Autour des pierres, du sol, des toits
Décolorent à leur profit tout ce qui naissait graduellement de l’ombre

Ces visages…… on ne voit plus qu’eux !!!!


transmis par Nora Irda, écrit au terme du travail de groupe
après la rencontre d'un patient