étaient comme la boussole qui guidait ses pas. On ne peut
que le suivre, en s'interrogeant avec lui sur cette forme d'inconscience dont
témoignent certains chrétiens qui mesurent la fidélité de leur foi à leur
capacité d'éviter toute détresse.
La Traversée de l'en-bas, ce livre écrit « pour ceux qui,
par eux-mêmes ou par leurs proches, ont quelque connaissance de l'en-bas.
Ailleurs, c'est hors de sens ou insupportable" », a été et reste l'un des
ouvrages les plus lus de son oeuvre. Un lecteur témoignait « Ce livre, c'est
comme si, alors que je suis en prison, quelqu'un frappait tout d'un coup de
l'autre côté du mur de ma cellule, et je ne suis plus seul. »
Nul n'est obligé d'explorer ces régions. Effectivement, « là
où ça se passe, apparaît tout ce qu'il ne fallait pas voir si l'on voulait
rester en haut, à la surface, parmi les gens qui vont et viennent, dans ce
qu'on appelle "la vie 12 » Cela dit sans le moindre jugement chez Bellet,
pas de complaisance envers la souf¬france. « L'ennemi, c'est la tristesse »,
répétait cet homme qui savait être malicieux, taquin, rieur, d'un humour
dévastateur. D'ailleurs, le titre du livre est explicite : il s'agit bien d'une
traversée, c'est-à-dire d'un chemin qui donne à espérer retrouver la lumière et
le goût de vivre. Que faire, alors, pour apporter soin et gué-
tison ?
Méditons sur le soin et la guérison.
Que faire pour soigner l'homme en l'homme ? Pas un de ses
morceaux, mais lui entier, corps, âme, esprit; lui pour lui, avec d'autres, lui
dans l'immensité du Tout.
Médicament ? Mais cela n'atteint pas l'humain en l'homme,
sauf à penser qu'une femme en deuil de son enfant doit être guérie de sa
douleur à coups d'euphorisants. Inhumain.
On peut, par d'habiles procédures, modifier le comportement,
faire disparaître certains ressentis. Mais le noyau dur des douleurs n'est pas
atteint. La science de ces techniques ignore l'en-bas. (..)
Écouter? Certainement. De cette écoute qui en-tend l'être
humain comme être humain, sans rien exiger, sans rien même vouloir ou espérer,
sans vouloir qu'il guérisse. Une écoute qui lui donne d'être là, hors de
danger, dans ce lieu inouï qui est
ionation première
.tte mutuelle et primitive reconnaissance, c'est un sens le
banal et l'ordinaire de la vie.
est ce qui s'échange dans le travail partagé, dans gestes
simples de la tendresse, dans les conver-:ions au contenu peut-être dérisoire,
mais où
pourtant l'on converse, face à face, présents pour
s'entendre.
C'est ce qui subsiste et resurgit dans les situations
extrêmes : quand quelqu'un va mourir (du sida, d'un cancer, de vieillesse...),
quand quelqu'un, par âge ou accident, est réduit à l'hébétude. Alors il arrive
qu'un presque rien, la lumière d'un vi¬sage, la musique d'une voix, le geste
offert d'une main, tout d'un coup dise tout'.
Ce thème de l'entre nous est sans aucun doute ce qui fonde
la plus grande partie, sinon toute l'oeuvre de Maurice Bellet. Il s'agit en
effet non d'une forme gentille et souriante de morale sociale, mais bien du
choix le plus radical, celui qui soutient tout — chaque être humain et le monde
lui-même.
Il y a donc choix, décision originaire.
Il coïncide avec le don qui est fait à l'être humain d'être
accueilli, reconnu, accepté comme présence et sujet d'une parole bonne à
écouter. Il n'y a pas opposition du don et du choix, sinon lorsque la violence
s'insinue entre les deux, rendant le don pervers et la décision décision de
haine — ou les deux'.
Myriam Tonus . Ouvrir l'espace du Christianisme. Intoduction
à lo'oeuvre pionnière de Maurice Bellet. Albin Michel. 2019.250 pages.
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