dimanche, novembre 13, 2005

Le visage









Si la médecine avait un visage, ce serait le sien. Un brun à boucles, un beau regard, un charmeur. Lors de mon atterrissage à Bellan, il m'a réceptionnée. Il n'a pas eu la tâche la plus facile. À cette petite bonne femme lestée de deux gosses, il a annoncé qu'elle était mal partie. Pour elle, il a eu les mots qu'il fallait. Il s'y connaît en mots. Il n'a pas peur de ceux qui informent. Il sait que c'est le réel qui flingue, pas les mots pour le dire. Il ne se protège pas derrière le lexique. Je comprends tout ce qu'il dit. Il dit: Je serai toujours là pour vous.
Il dit Je serai toujours là pour vous, et j'ai moins peur.
Il me tient chaud. À lui, je confierai tout. Cette chimio que je refuse, ces questions qui me réveillent, ces combats indispensables et minuscules que j'engage tous les jours. Il écoute. Il ne se sent pas tenu de me répondre. Il est d'accord pour partager les doutes. D'accord pour préférer la vie maintenant. D'accord pour ne pas savoir. Il est humain et il est là

Il n'a pas qu'une patiente dans la vie (j'aimerais bien, mais non). Mais, quand il y a le feu, il me trouve toujours une place. Ce sera le dernier rendez-vous de la matinée. Alors je prépare toutes mes questions à l'avance. Je les note dans mon petit carnet. Je ne veux pas lui faire perdre trop de temps. C'est lui qui déborde. Lui qui pose des questions. Je lui parle du métier que j'exerçais. Il me parle d'un ami écrivain. Nous prévoyons des rencontres. Nous faisons des projets. Dans son petit bureau feutré, il fait entrer un peu de sa vie. Et beaucoup de la mienne.

Lydie Violet . Marie Desplechin.
La Vie sauve. (Prix Medicis de l’essai 2005).