vendredi, octobre 14, 2005

Axelle







Axelle est la dernière à se faufiler dans l’ascenseur bondé. Les bras pleins de dossiers de patients, une blouse blanche impeccable et un simple badge sur le revers de la poche indiquant son nom et son prénom : je ne saurai rien de plus d’elle. Les cliniques bruissent de ce va-et-vient ininterrompu d’inconnus qui se croisent, se dévisagent, se reconnaissent parfois, complices obligés durant les quelques minutes d’une attente en salle ou d’un trajet de lift. Venu rendre visite à un patient hospitalisé, je retrouve mes impressions de jeune étudiant en médecine dans cette ambiance aseptisée et rigoureuse si lointaine des toiles cirées et des carrelages douteux des consultations à domicile.

J’observe le profil d’Axelle. Qu’elle est jeune pour être déjà médecin, ou que suis-je devenu vieux, c’est tout comme. Un stéthoscope souple et neuf surplombe un carnet de notes comme on en rédige au fil de ses études, bourré de doses thérapeutiques à ne pas dépasser, de diagnostics différentiels succincts et d’arbres de décisions divers. Je m’aperçois à ce moment que deux grosses larmes silencieuses lui perlent des paupières, descendant lentement sur ses joues. Je ne connaîtrai jamais la cause du chagrin silencieux qui envahit ma jeune consœur dans cet ascenseur anonyme ; pleure-t-elle pour une remontrance injustement ressentie, une souffrance de patient, le deuil d’un proche ou tout simplement pleure-t-elle sur elle-même ? Peu importe. Je l’admire, si peu endurcie devant les coups de boutoir de l’existence, de vaquer simplement à sa tâche quotidienne parce que c’est sa vie, et qu’elle l’a choisi. Son chagrin est insolite car il renverse les rôles de la souffrance et qu’on attend les larmes sur d’autres visages que ceux des soignants. Il est rassurant, car il apprend aux patients que soigner et pleurer ne sont pas nécessairement des réalités incompatibles. Arrivée quelques étages plus haut, Axelle aura sans doute furtivement essuyé ses larmes, esquissé un sourire, tendu une main accueillante mais qu’elle se rassure : sa faiblesse d’un moment m’a fait réaliser que le cas échéant, c’est vers ce genre de consœur que je me tournerai le jour où le besoin s’en fera sentir.

Zénon.